1 – Enfance et jeunesse

 

Les parents de René appartenaient tous deux au milieu rural  et s'étaient mariés peu après la guerre de  14. Ils fondèrent à St Marcellin  une petite entreprise de laiterie. René était fils unique et ses parents attachaient beaucoup d'importance à son éducation. C'est pourquoi, après l'école primaire, ils le mirent au collège de St Marcellin, qui à l'époque menait jusqu'au baccalauréat. De plus, ils lui firent prendre des leçons de  violon et de  dessin et peinture.

Ils  l'autorisèrent, pendant son adolescence à participer aux activités de la société de gymnastique qui comportait aussi une  fanfare, où il jouait du cor.

Les parents de René l'ont mis au jardin d'enfants chez les religieuses. Il joue sur le sable et dessine un bonhomme muni de son attribut mâle. Indignation des sœurs qui se plaignent aux parents.

Visite du château du facteur Cheval. Je suis enthousiasmée. René me raconte sa première visite. Il avait 5 ans et il fut très effrayé par trois personnages gigantesques.

René rentre de l'école. Il s'amuse à tirer des sonnettes le long du chemin. Mais un jour, son père, averti, l'attend à son arrivée et il reçoit une mémorable fessée.

 

 

Pourquoi René n'a-t-il pas son certificat d'études ?

Le jardin est bien tenu. La maman sévère. René joue au ballon, il veut empêcher le ballon de rouler dans la plate-bande et tente de le rattraper. Il tombe et se casse le bras. Il ne passera pas son certificat d'études qui devait avoir lieu quelques jours plus tard.

 

Ballade en Chartreuse

Ballade en voiture avec ses parents. Destination : la Chartreuse. Route tortueuse, bordée, semble-t-il à sa mère, de précipices. Sa mère dit à son père : "Arrête ! Fais descendre le petit !" Le père obtempère, repart seul et "le petit" doit rester avec sa mère, déçu de ne pouvoir continuer la ballade. Du coup, il ne verra jamais l'intérieur de la Chartreuse, qui, à l'époque, pouvait se visiter, car les moines en avaient été chassés.

 

Pourquoi René ne connaissait pas le latin

En 6ème,  René fait du latin. Un jour, indigné par une injustice de son maître, il se lève et  déchire son cahier sous le nez du professeur. L'année suivante, comme ce même professeur officiait, il ne suit  plus les cours de latin. Quelques décennies plus tard, il est nommé conservateur de la bibliothèque municipale de Tours ;  son prédécesseur Georges Collon, chartiste, s'inquiète d'être remplacé par un non-chartiste et qui plus est,  ne connaissait même pas le latin !

 

A la pâtisserie

René  a   environ  17 ans. Il est chez un pâtissier  de St  Marcellin.  Entre la petite Françoise Quouarès, la fille du directeur de la C.G.E. : "Je voudrais  ce gâteau, qu'est-ce que c'est ? - C'est un mille-feuilles  - Combien coûte-t-il ?  - 10 francs-  Alors, donnez-moi un  cinq cent feuilles." Quelques années plus tard, la petite fille à qui il manquait 5 francs pour avoir un mille-feuilles deviendra l'auteur célèbre de "Bonjour tristesse" et autres "Bleus à l'âme".

                                       

Le plateau cassé

La mère de René veut monter du rez-de-chaussée au premier étage un plateau chargé  d'une vaisselle à laquelle  elle tient comme à la prunelle de ses yeux. "Laisse-moi monter ce plateau, petite mère. - Tu n'y penses pas ! Et si tu le faisais tomber !"  Elle monte l'escalier  et en arrivant en haut le plateau bascule et la précieuse vaisselle se brise sur les marches. René est triste pour sa mère, mais triomphe intérieurement.

 

 

2 - Pendant la guerre

 

En 1939, René vient de passer son bac, lorsque commence la  guerre. Il décide de préparer St Cyr.  Mais  à la fin de l'année, alors qu'il faisait très froid, son père, qui était entrain de dépanner un camion, est emporté par une crise  cardiaque  (il avait été gazé pendant la guerre de 14). Dès ce moment-là, il doit  aider sa mère à la laiterie. De plus,  en juin 194O est signé l'armistice et le recrutement des élèves officiers ne se fait plus dans les mêmes circonstances. Il est recalé  au concours d'entrée.  Il se consacre donc entièrement  à la laiterie. Il assure avec quelques ouvriers les tournées de ramassage, s'occupe des véhicules. Parfois, il est accompagné dans les tournées  par un inspecteur de la répression des fraudes, chargé de vérifier que le lait ramassé n'est pas coupé. Sa femme et lui deviendront  amis de René et de sa  mère. En 1942, René  participe, comme tous les jeunes gens de  sa classe en zone Sud aux Chantiers de jeunesse. Puis il reprend son activité à la laiterie jusqu'à la fin de la guerre.  De temps en temps, des copains le contactent pour  participer à une activité de maquis (déraillement de trains). Il ne veut surtout pas que sa mère le sache  (Je pense d'ailleurs qu'elle ne l'a jamais su !).

 

Aux chantiers de jeunesse

C'est l'hiver. C'est la nuit. Il est seul, perdu dans une forêt enneigée. Il fait très froid. Il n'arrête pas de marcher, il s'enfonce, il continue, car il sait qu'il ne faut pas tomber et s'endormir. Heureusement, il aperçoit une lumière dans la nuit : c'est une lampe à acétylène, posée au bord d'une fenêtre. Il y a une maison ; il frappe ; un homme lui ouvre et lui sert une soupe chaude. Il est sauvé.

 

Comment René a échappé au S.T.O.

Les Allemands ont raflé les jeunes gens dans la rue. René est parmi eux. Son chien l'a suivi. René caresse le chien,  et sans se faire remarquer repart avec lui.

 

La guerre terminée,  il ne voit pas l'avenir de la   laiterie de la même façon que sa mère et décide de reprendre ses études. Il opte pour le droit, il songe vaguement à l'E.N.A.

Comme il lui faut travailler, il  entre à la B.C.P. de l'Isère, qui vient d'ouvrir. Ses  amis Legros le mettent en rapport avec Madeleine Thomas qui cherche à recruter un sous-bibliothécaire….

C'est le début d'une carrière à laquelle il n'avait pas songé  à l'origine…Quelques années plus tard, sa nomination au bibliobus  de la Charente maritime changera notre vie.

 

 

 

4 - Le Bibliobus de Charente-Maritime

 

M. Raymond, le directeur,  n'était pas bibliothécaire et au départ connaissait peu les livres. Mais, étant du pays, il avait un très bon contact avec la population et avec les élus. Il fallait l'aider à gérer la bibliothèque, sans qu'il se sente incompétent, et  suppléer à son manque de connaissance des livres par  un système de choix d'ouvrages utilisable par tous pour les dépôts (à cette époque, il n'y avait que des bibliobus-caisses). Aussi René, s'inspirant du système mis en place dans l'Isère, établit des listes de livres qui permettaient  une répartition équilibrée des diverses catégories d'ouvrages en différents lots et une rotation rationnelle mais souple de ces lots dans chaque dépôt. Cela permettait aussi de contrôler plus rapidement les titres qui avaient été à la disposition des lecteurs pendant les deux années précédentes.

 

 

5 - Fiançailles

 

Comment j'ai rencontré René

Je suis bibliothécaire contractuelle et je remplace une collègue de Marseille en congé de maternité. Même après son retour, je reste encore à la B.C.P. des Bouches-du-Rhône. Je reçois une lettre de Pierre Lelièvre, Inspecteur général des bibliothèques. Il me propose un poste au bibliobus de Charente Maritime, dirigé par un non-bibliothécaire, que la Direction des bibliothèques veut voir épaulé par un professionnel. René Fillet s'y était fait respecter et était très écouté de M. Raymond, le directeur. Mais il venait d'obtenir en Loir-et-Cher un poste de conservateur, directeur de la B.C.P. Je suis donc chargée de le remplacer à Saintes et M. Lelièvre m'écrit : "Vous auriez intérêt à prendre contact avec M. Fillet." Notre premier échange est donc une lettre dactylographiée, quasi-administrative. Ma collègue, Mme Robin me fait pourtant remarquer - a-t-elle des arrière-pensées ?-  qu'une lettre manuscrite aurait peut-être été plus chaleureuse.

En quittant Marseille, je passe voir ma famille dans le Sud-ouest et de là, je dois gagner Paris, où je suis témoin dans un procès contre la Gestapo de la rue de la Pompe. J'en profite donc pour rencontrer à Blois ce M. Fillet. Il porte un chapeau de gabardine beige. Peut-être pleut-il. Il m'emmène déjeuner à la cantine de fonctionnaires où il mange habituellement, puis nous prenons un café dans sa chambre, dans des tasses rose saumon, qu'il a achetées en mon honneur. Il me met bien entendu au courant de la situation en Charente-Maritime, du bibliobus de Saintes. Et il me propose de m'arrêter à Blois lors de mon retour de Paris, car il doit aller lui-même avant Noël faire ses adieux aux personnalités de Saintes et du département. Ainsi, il me présentera aux autorités locales et à M. Raymond, ce qui  facilitera ma tâche. J'accepte et nous voyageons ensemble dans sa 2-chevaux de Blois à Saintes. Nous sommes reçus ensemble chez M. Raymond, chez le sous-préfet, chez les conseillers généraux Chambenoit, et  Maudé qui était aussi le maire de Saintes.

Pour Noël, nous allons chacun dans nos familles. En me quittant à la gare, il me demande de continuer à nous voir, ce que nous ne manquons pas de faire.

 

Rendez-vous

René est à Blois, je suis à Saintes. Nous nous rencontrons chaque week-end. Parfois, je prends le train pour aller à Blois, parfois, il vient à Saintes en 2 Chevaux ; d'autres fois nous faisons chacun une moitié du trajet et nous nous rencontrons à Poitiers. Ensemble, nous visitons Poitiers, Oradour-sur-Glane ; nous sillonnons les routes de l'Ouest ; nous cueillons des violettes. Le chauffeur du bibliobus du Loir-et-Cher s'étonne  de voir le  nombre de  kilomètres inscrits sur le compteur de la  2 Chevaux. Ces parcours hebdomadaires  le font souvent rentrer fort tard dans la nuit. C'est encore l'hiver. Il branche la couverture électrique que lui a  offerte sa mère  et… s'endort. Il est réveillé brusquement : ses pieds le brûlent et  il sent une forte odeur de roussi ; vite il  débranche la couverture, la jette dans la cour, mais il devra avouer à sa logeuse  le lendemain matin qu'une partie de la literie est abîmée.

Ladite logeuse, après le jour où nous avons fait connaissance et où René m'a offert le café dans sa chambre, lui fait savoir qu'il ne doit pas "faire monter de femmes". Or à cette époque, le soir, il n'y a pas de bistrots ouverts à Blois et la gare ayant brûlé  récemment,  il n'y a pas non plus de salle d'attente ; un jour où le pauvre René est souffrant il attend pourtant dans l'inconfort le départ de mon train pour rentrer se coucher.

Très vite, nous décidons de nous marier. Nous allons à Sainte-Foy chez mes parents (ce n'était  pas très loin) et nous faisons une expédition à Saint Marcellin pour voir sa mère et sa famille. Il en profite pour  me faire connaître les routes du Vercors et de la Chartreuse. Nous nous arrêtons près d'un pont qui domine un torrent de bien 30 ou 40 mètres. Il ne veut pas que je sois timorée comme sa mère et monte sur le parapet.  J'ai sûrement aussi peur qu'elle qu'il ne tombe, mais je sais que je serais incapable de le retenir s'il faisait un faux pas et que si je crie, cela ne l'empêchera de continuer mais pourrait le déconcentrer. Je m'éloigne donc, sachant que si je ne le regarde pas, il ne continuera pas à faire l'idiot sans spectateur (-trice !).

Aussitôt après, en février peut-être, nous demandons rendez-vous à M. Lelièvre, qui devine tout de suite en nous voyant - ou même avant - ce que nous avons à lui demander : nous nommer dans la même ville. M. Lelièvre n'était pas étranger à notre rencontre et de plus il a fait le maximum pour que nous soyons nommés tous les deux à Tours. C'est pourquoi il fut l'un des témoins de René à notre mariage, et que plus tard, à la veille de notre départ de Tours, en 1977, alors qu'il était professeur à l'Université de Tours, c'est lui qui remit à René la croix de Chevalier de la Légion d'Honneur.

 

 

5 - La bibliothèque municipale de Tours

 

Lorsque  nous sommes arrivés à Tours en 1953, les plans de la nouvelle bibliothèque avaient déjà été approuvés, l'emplacement avait été choisi et elle commençait à sortir de terre : rien ne pouvait plus être changé du gros-œuvre. Constamment  René avait des rendez-vous de chantier pour discuter avec les architectes et les entrepreneurs : il a pu seulement faire  modifier certains aménagements intérieurs :  par exemple, des W.C. pour les enfants à côté de leur salle de lecture.

 

Donateurs et prêteurs

M. Thibault habitait les confins  de la Touraine et de la Brenne. Il possédait une importante collection d'estampes et de livres  sur  la Brenne et en particulier sur le folklore de cette région

Le Docteur Luthier de Tours possédait une résidence secondaire près de là. Et conseilla  à M.Thibault de faire dons de ses collections à la bibliothèque de Tours. Ce qui fut décidé.

A partir de ce moment, M.Thibault nous invita chaque année  pendant dix ans à sa propriété de l'Ebeaupin. C'était une grande maison basse, devant laquelle poussaient de superbes hortensias, et sur l'autre façade  une immense glycine.  C'était en général au mois d'août, et nous arrivions de Tours  à plusieurs. Il y avait  souvent  Archambault de la Nouvelle République

Et nous retrouvions les Luthier chez M. Thibault. Celui-ci était un vieux célibataire, ancien commissaire-priseur,  et le repas était présidé par sa sœur.  C'était  chaque année  le même repas typiquement  berrichon  avec un pâté en croûte aux œufs. Ensuite nous allions admirer les collections. Puis, après  la mort de sa sœur,  M. Thibault vint s'installer  à Tours et nous  sommes partis à Paris  avant sa mort à l'âge de 99 ans.

 

Paul Caron était un tout autre genre  de donateur. Il 'était déjà  manifesté avant notre arrivée à Tours. Il  avait depuis son jeune âge pris l'habitude d'acheter sur les quais où ailleurs  des livres ou des lots  de livres  à bon compte,  gardait ce qui lui paraissait intéressant, fabriquait des brochures avec les articles de revue qu'il sélectionnait, les recouvrait ensuite de  papier de tapisserie, car il  en possédait un magasin dont sa femme s'occupait. C'était un bon vivant et René appréciait sa jovialité et  prenait souvent des repas chez lui, lorsqu'il allait à Paris.

Le fonds Caron  a  trouvé sa place dans la bibliothèque dès  qu'elle a été installée au bord de la Loire, et René a fait établir un catalogue simplifié  des livres qui s'y trouvaient pour qu'ils puissent être consultés sans attendre un catalogage suivant les normes.  Il fit classer les biographies par ordre alphabétique, ce qui  fit du fonds Caron une mine documentaire importante, et un fonds qui  resta alimenté  jusqu'à la mort de Paul Caron.

L'abbé Raymond Marcel  était un érudit spécialiste du XVIe siècle, qui possédait une  magnifique  bibliothèque. Tourangeau d'origine il fit un legs à la bibliothèque de Tours. Simone Lecoanet, qui avait en charge le fonds ancien, faisait l'inventaire de ses ouvrages, ce qui n'était pas facile, car ce collectionneur passionné vendait souvent des livres pour en acheter d'autres.  Après la mort de l'abbé Marcel, ces ouvrages ont trouvé leur place dans la salle du Trésor de la  B.M. Simone déchargeait  René du souci du fonds ancien. Grâce à elle, les  inquiétudes de Georges Collon,  prédécesseur de René, se révélèrent injustifiées, d'autant plus que René ne se désintéressait  pas de la Réserve, surtout en ce qui concernait les Relations publiques. Et j'ai aussi des souvenirs de repas  avec l'abbé Marcel et le Chanoine Gadioux au Restaurant "Le Bordeaux". Nous avions été heureux René et moi de découvrir chez l'abbé Marcel  un côté très humain et sympathique lorsqu'il parlait avec émotion  des enfants qui vivaient en maison de correction à Mettray, et dont il avait été l'aumônier.

 

Nous nous déplacions aussi  pour emprunter des ouvrages ou des objets pour des expositions.

A notre arrivée à Tours, la bibliothèque ayant été détruite pendant la guerre, la plus grande partie des collections avaient disparu et en particulier tous les ouvrages sur la  Touraine.  Le fonds a été reconstitué peu à peu. Mais  avant qu'il ne le fût,  il y eut une exposition où devaient figurer des livres que la bibliothèque ne possédait plus. Un châtelain des environs de Loches avait une superbe collection de livres  sur la  Touraine, magnifiquement reliés et il accepta de nous en confier certains. René  alla chercher avec sa voiture les ouvrages empruntés. Je me rappelle notre admiration devant ces belles reliures, en si bon état.

 

Pendant la guerre d'Algérie.

Pendant la guerre d'Algérie, René avait acheté  pour la bibliothèque  le livre d'Henri Alleg,  La Question.  Et celui de Pierre-Henri Simon, Contre la  torture. Il avait acheté  au moins dix exemplaires de chaque et jamais ces livres ne  se trouvaient sur les rayons, alors qu'ils étaient rapportés en temps voulu. D'abord il crut que ces livres sortaient beaucoup et racheta des exemplaires. Mais comme  le phénomène continuait, il décida de procéder à une enquête : on découvrit qu'un groupe d'usagers se relayaient pour emprunter ces livres  à tour de rôle, aussitôt qu'ils étaient rendus, de façon à empêcher  les autres lecteurs de les lire.

René faisait  partie du jury de sous-bibliothécaires.  Or, il avait appris qu'une sous-bibliothécaire précédemment nommée à Alger avait été arrêtée pour avoir aidé le F.L.N. et torturée. Il proteste donc contre le fait d'envoyer à nouveau  quelqu'un là-bas  au cas où il lui arriverait la même chose. Cela  jeta un froid.

 

Enseignement et économie

On parle beaucoup aujourd'hui des rapports entre l'enseignement et l'économie. Ce fut une des grandes préoccupations de René, qui créa le Comité Enseignement-Economie avec des organismes ou associations à caractère économique, avec l'Orientation professionnelle et les enseignants. Par ailleurs, membre des Conseils de parents d'élèves, il  était favorable à un travail commun avec l'association  habituellement adverse, et ensemble, avec l'aide de l'Orientation professionnelle et  de représentants des divers secteurs d'activités, il fut la cheville ouvrière de "Journées d'information sur les professions" qui se tinrent à plusieurs reprises à la bibliothèque.

 

René au Comité d'expansion économique

Quand le Comité d'expansion économique d'Indre-et-Loire fut créé, il ne  devait comporter qu'un seul représentant des syndicats. Ce qui embarrassait beaucoup ces derniers. Ils devaient donc trouver pour les représenter une personnalité extérieure  à eux, susceptible des les comprendre tous.  C'est pourquoi ils s'adressèrent à René, qui avait  par sa formation juridique  les compétences et par son sens de  la  justice et  son objectivité  la mentalité souhaitée par tous, sauf cependant la C.G.T., qui n'aurait accepté d'être représentée que par un de ses adhérents.

 

Une exposition scandaleuse

La Bibliothèque municipale accueillait souvent des expositions préparées par d'autres organismes. Une année, les étudiants de l'Ecole des Beaux-Arts se proposèrent pour en  organiser une. L'année suivante, ils proposèrent une nouvelle exposition qui fut acceptée en confiance par le Conservateur en chef et par l'Adjoint au maire chargé des affaires culturelles (lequel adjoint était en outre père de l'un des susdits étudiants). Or, il s'avéra que cette seconde exposition traitait un sujet particulièrement délicat ; mais comme elle ne contenant rien de très scandaleux, elle fut ouverte au public. Mais un jour, alerté d'urgence par des visiteurs indignés, René découvrit une œuvre  qui ne figurait pas au catalogue : un couple d'étudiants des Beaux-Arts  en train de composer un tableau vivant pour illustrer le sujet de l'exposition : l'érotisme.

 

René et Royer

Royer fait un discours dans la grande salle de la mairie à Tours. La salle est pleine et tous les chefs de service doivent être présents. Royer expose sans doute les grandes lignes de sa politique. Quand le discours est terminé, le public applaudit. Pas René. Royer l'a remarqué. Il lui en a fait l'observation. Mais il l'estimait quand même.

Un jour où Royer lui demandait son avis sur un de ses propos, René lui a répondu qu'il manquait d'humour.

 

 

6 - Vie familiale.

 

René et le tabac.

Lorsque j'ai connu René, il fumait la pipe et parfois la cigarette. Déjà lorsqu'il était à Blois, il désirait s'arrêter. Il avait décidé de ne pas fumer jusqu'à midi. Mais au premier coup de midi, il allumait une cigarette.  Plusieurs fois, à l'occasion d'une grippe ou d'une bronchite, il s'arrêta parfois plusieurs mois. Mais voilà1962, année de l'exposition Touraine 75, qui occupa la bibliothèque de bas en haut, dans tous les espaces libres y compris les galeries et l'auditorium.

La Jeune Chambre économique, mais aussi  d'autres  organismes : Chambre des métiers, Chambre d'agriculture, Chambre de commerce, l'Enseignement etc… y participaient. Il fallait tout coordonner. (On embaucha même un Polytechnicien de l'INSEE !). René travaillait jour et nuit et eut à nouveau recours à son carburant habituel : le tabac. Ce n'est qu'arrivé à l'âge de la retraite qu'il y renonça définitivement.

 

Epidémie

1969. Nous venons de quitter notre logement de fonction à la bibliothèque et nous  habitons  rue Jourdan. Ma belle-mère est alitée, atteinte par l'épidémie de grippe qui s'avère redoutable cette année-là. En pleine journée, René soudain très mal en point lui aussi, s'allonge sur le divan du salon. Il a  plus de 39°. "Va te coucher dans ton lit, René." Mais, pour aller  dans  notre chambre, René  doit passer devant la chambre de sa mère, dont la porte est ouverte, et il craint de l'inquiéter si elle s'aperçoit  qu'il est malade. Sur mes instances, il finit par se laisser convaincre.

 

Panne d'eau

Un dimanche matin de 1977, René venait de rentrer de Paris et nous nous préparions à partir pour la Tupinière. René tire la chasse d'eau. Rien. "Pourquoi avez-vous fermé l'eau ?" râle-t-il. "Mais nous n'avons pas fermé l'eau !" protestons-nous. Or l'eau ne vient pas : René n'est pas convaincu par les dénégations de sa mère et de sa femme. Nous partons en voiture pour la Tupinière. Arrivés au Pont de pierre, nous sommes arrêtés par un barrage de police. "Que se passe-t-il ?" demande René. "Le pont s'est effondré !" nous répond-on. René, incrédule, prend alors le pont Mirabeau, d'où la réalité nous apparaît : le Pont de pierre est effectivement effondré, et un jaillissement d'eau provenant de la canalisation coupée retombe en cascade dans la Loire : l'eau ne manque pas seulement dans notre chasse d'eau mais dans toute la partie de la ville au sud du fleuve !

 

 

7 - Vacances

Domino

Lorsque les enfants étaient petits, nous allions dans un camp d'anciens étudiants de la "Fédé", association  chrétienne d'étudiants à laquelle j'avais appartenu. Nous étions plusieurs ménages avec enfants et menions une vie communautaire, avec des jours de service où chaque ménage à tout de rôle assurait les divers services de ravitaillement, table, etc…, et  des jours "off", où les enfants étaient confiés aux autres campeurs et où chaque ménage passait une journée tranquille, déchargé de soucis, à l'extérieur du camp.

 

Lorsque les enfants furent plus grands, nous partions en famille tous les quatre en campant sous la tente dans des campings aménagés, et en changeant  plusieurs fois d'endroits au cours d'une même  période de vacances, parfois en France,  parfois à l'étranger. René attachait toujours beaucoup d'importance à la beauté du site, il aimait les vues dégagées.

 

Voir Venise et s'y baigner

Une année, nous nous sommes installés dans un grand camping sur la lagune, près de Venise. Nous décidons de profiter de "Venise by night" et nous partons au début de l'après-midi, avec la camera super-8. Nous visitons la basilique Saint Marc où René filme une scène amusante de touristes se faisant refouler, parce qu'ils portaient, qui un vêtement sans  manches, qui un short…. Nous voulons  voir les petits canaux et les ruelles étroites qui les longent ou les relient entre eux. René trouve pittoresque une placette, et recule pour la filmer… l'angle n'est pas encore idéal, il fait quelques pas en arrière…non décidément, ce n'est pas encore parfait… il recule encore et….se retrouve dans le canal. Je m'écris "Mon Dieu, René !" et me précipite pour lui porter secours ; le bord du canal est glissant et je me retrouve par terre, les pieds dans l'eau, me retenant  in extremis avec mes deux bras. René réussit à nager jusqu'au bord, avant que les enfants  se mettent de la partie. Un pont  arrondi enjambe le canal et déjà un petit attroupement s'est formé pour contempler le spectacle. René se dirige vers une fontaine providentielle (encore que… n'était-ce pas elle qui donnait à la placette le fameux pittoresque qui avait séduit notre caméraman amateur et l'avait entraîné hors du droit chemin…), et vêtu seulement de son slip trempé, il lave son pantalon dans l'eau douce et l'essore fortement avant de le remettre. Au lieu de passer la soirée à Venise, nous reprenons le " vaporetto" et regagnons le camping (au grand regret des enfants à qui nous avions promis des glaces à l'italienne).  Malheureusement nous n'avons pas pensé à rincer la camera à l'eau douce, et camera et film ont été  hors d'usage.

 

Dans les Pyrénées

La Famille Tartempomme. Hélène a huit ans, Marc cinq ans. Nous passons nos vacances dans les Pyrénées. Aujourd'hui, il fait beau. Nous en profitons pour monter à pied au lac d'Oo. Ca grimpe dur, les enfants râlent. Pour les encourager, René raconte les aventures de la famille Tartempomme. Nos mémoires sont défaillantes, et il n'y a pas eu d'enregistrement. Si, de l'histoire vous désiriez la connaître la fin, sur votre faim vous resterez.

Bien des années plus tard, nous sommes  à nouveau dans les Pyrénées, Marc, René et moi, à Luchon, où Marc soigne ses voies nasales. Presque chaque  matin, René part à bicyclette à l'assaut d'un de ces cols  familiers aux coureurs du Tour de France. Un gamin d'une dizaine d'années l'encourage : " Vas-y, Poupou ! "

 

Au-delà des Pyrénées

 Revenant du Portugal,  vers 1976, nous traversons la Galice, lorsque nous perdons, non loin d'un  virage, une roue de la caravane. Nous sommes donc obligés de  nous adresser à la police, qui oblige un garagiste à déplacer notre caravane.  Avant de repartir,  il  nous faut attendre une roue  à quatre trous, que nous envoie  l'assurance à la gare la plus proche distante de 50 km. Sur le trajet, nous contemplons une scène telle que nous n'en reverrons jamais, et nous n'avons pas pu la filmer : sur un champ d'environ un hectare, il y avait  six attelages qui tiraient des araires. Derrière chaque attelage un homme tenait  la charrue, et devant marchait une autre personne qui  servait de guide.  Nous avons contemplé la scène pendant plus d'un quart d'heure, pour la  graver dans notre mémoire.

Dans un camping d'Espagne, une vive altercation éclate entre Hélène et son père. Marc et moi sommes très affectés de les voir s'opposer à ce point. Nous devons  les réconcilier. Marc prend Hélène à part  et moi René et après de grandes discussions, nous réussissons à les calmer et à  les  remettre d'accord.

 

 

8 - Bricolage

 

Au début de notre mariage. Visite chez Germaine Tillion. Elle a en séjour chez elle une Canadienne qui fait une thèse sur la chanson française au Canada et a presque terminé la transcription du texte dactylographié qu'elle doit rendre le lendemain. Mais la machine à écrire tombe en panne. Pas de réparateur disponible dans l'immédiat. René qui n'a jamais fait cela, démonte entièrement la machine, sûr de lui. Ces dames sont un peu anxieuses. Il la remonte pièce à pièce et elle marche.

Hélène est une toute petite fille. René  a vu sur une revue de bricolage un modèle de table de nuit en forme de girafe. Il l'exécute : les jambes de la girafe forment les pieds de la table, le corps est son plateau et les cornes, protégées par deux balles de tennis, font office de porte manteau. Le tout peint couleur girafe, jaune avec des tâches marron. La table existe toujours et est maintenant utilisée par nos petits-enfants. A la même époque, pour Noël, René a confectionné  à Hélène une maison de poupée,  tapissée avec des chutes de papier peint données par Caron ; il y a plusieurs pièces, la  maison a belle allure.

Nos enfants devenus adultes, René  a travaillé à l'aménagement de leurs maisons, montant ici un escalier, là étagères et bibliothèques. A la Tupinière aussi, il  a  construit deux bibliothèques, posé des dallages, sans parler des tapisseries…

Tours, place Châteauneuf. Une grande quincaillerie qui n'existe plus aujourd'hui. Dans les années 70, René s'y plaisait, et me disait qu'il avait une vocation rentrée de quincaillier. Il aurait voulu pouvoir conseiller les autres bricoleurs sur le produit convenant à leur ouvrage et il connaissait tout le vocabulaire des quincailliers et l'usage de tout ce qui pouvait se trouver dans ce magasin.

Un jour, enseignant à l'E.N.S.B. à Paris, les élèves et lui se trouvent coincés dans la salle de cours. Il sort de sa poche son couteau suisse et s'en sert pour sortir de la salle, à la façon de Mac Gyver (qui n'existait pas encore).

 

 

9 - La B.P.I.

 

Il y allait dès 8 heures du matin, rentrait déjeuner, car nous habitions en face du Centre Pompidou (sauf la dernière année) puis repartait jusqu'à une heure tardive. Il était encore au travail lorsque se faisait le ménage ; le Maghrébin chargé de son bureau entrait, lui serrait vigoureusement la main et demandait de ses nouvelles : "Comment ça va ? et ta femme ? et tes enfants ?". René aimait cette cordialité. Ses visiteurs occasionnels étaient très surpris.

 

 

10 - La Tupinière

 

Nous cherchions une maison à la campagne pour faire prendre l'air aux enfants et prospections dans les alentours. A cette époque l'habitat rural était très primitif. Nous avons eu le coup de foudre pour le cadre de la Tupinière : c'était une fermette du 19ème siècle qui comportait  trois pièces, un cellier et un grenier, une grande cheminée et des poutres enfumées. Dehors, une allée de pommiers, des jonquilles et des iris sauvages, un lilas ; une fosse remplie de détritus ; un hectare de terrain ; le tout sur un plateau, avec une vue étendue et dégagée qui séduisit René.

Nous avons passé des jours de congé à déblayer la fosse. René a décapé les poutres à la ponceuse ; il lui a fallu 24 heures - pas un jour - par poutre pour ôter cette suie. Nous avons nettoyé, peint, tapissé et chaque hiver la moisissure renaissait sur les murs. Année après année, la maison a été améliorée, la pelouse s'est agrandie, on  a planté des fleurs, mis un portique pour les enfants. Une fois adolescents, ils préféraient rester à Tours. Nous nous rendions à "la Tup" une fois ou deux fois par semaine, mais nous y couchions très rarement ;  une fois à Paris, elle devint notre maison de week-end : nous en ramenions alors des valises pleines de salades ou de tomates ; un jour, ce furent des framboises. En arrivant en gare de Tours, une traînée rouge coulait de la valise ("Qu'y a-t-il dans cette valise …" devaient s'interroger les autres voyageurs, "…une femme coupée en morceaux ?"). Heureusement, la valise s'est assagie pendant le trajet et arrivés à Paris, nous avons pu prendre un taxi sans risquer d'être dénoncés à la police par un chauffeur de taxi soupçonneux.

     

Le temps de la retraite arrive. De nouveaux aménagements sont faits à la maison, pour qu'elle soit agréable à habiter et qu'elle soit accueillante. Il  y a quelques années, elle s'est agrandie de la véranda et récemment  d'un préau qui sert de garage. Dehors nous avons planté les arbres qui nous ont été offerts à plusieurs reprises. Et depuis quelques années un petit bois de pins  grandit sous nos yeux. Pour moi, ces treize années de retraite ont été les plus belles de ma vie.

 

 

Marie Fillet